
Entre 2019 et 2024, au moins 315 femmes ont été tuées dans des circonstances atroces à
travers le pays. Dans un rapport glaçant, le collectif "Féminicides Algérie" met en lumière
l’ampleur de cette tragédie, encore largement invisibilisée, et alerte sur l’urgence d’une
réponse institutionnelle forte.
‘’Une hécatombe documentée, une réalité ignorée’’
Pendant six ans, les membres du collectif citoyen ‘’Féminicides Algérie’’ ont mené un travail
de recensement minutieux. Résultat : 315 femmes tuées, dans leur immense majorité par
des proches, souvent après des années de violences répétées. Derrière ce chiffre brut se
cachent des drames familiaux, des cris étouffés, des vies broyées. « Ce rapport est né d’un
devoir de mémoire et d’alerte. Il témoigne de l’ampleur d’un phénomène que l’État refuse
toujours de nommer », explique Kenza Khattou, militante du collectif.
Les crimes, souvent relégués à la rubrique des faits divers ou passés sous silence, sont le plus
souvent perpétrés dans le huis clos des foyers, loin des regards et du secours. La majorité
des victimes ont été tuées à l’arme blanche, étranglées, battues à mort ou exécutées dans
des conditions d’une violence inouïe.
‘’Des chiffres glaçants, probablement en deçà de la réalité’’
Le rapport détaille année par année les cas documentés :
– 2019 : 74 féminicides
– 2020 : 56
– 2021 : 57
– 2022 : 41
– 2023 : 39
– 2024 : 48 (chiffre arrêté à mars)
Ces données, collectées via les médias, les réseaux sociaux ou des témoignages directs, ne
reflètent cependant qu’une fraction de la réalité. En l’absence de statistiques officielles et
face à l’omerta qui entoure ces crimes, le collectif estime que le nombre réel est bien
supérieur.
‘’La violence au cœur du foyer’’
Le rapport pointe un fait crucial : dans plus de 70 % des cas, l’agresseur est un proche,
souvent un conjoint ou un membre de la famille :
– 42,6 % des meurtres sont le fait de conjoints ou ex-conjoints (dont 36,2 % de maris)
– 27,7 % sont commis par des parents ou des membres de la famille (frères, pères, cousins…)
– 29,8 % par des tiers (voisins, harceleurs, cambrioleurs…)
Près de 9 victimes sur 10 sont tuées à leur domicile, dans ce qui devrait être un espace de
sécurité. Pour Kenza Khattou, « le foyer est devenu un piège mortel pour trop de femmes.
Ces crimes ne sont pas des faits isolés, mais les conséquences directes d’un système violent
et patriarcal. »
Des mises à mort d’une violence extrême
En 2024, les données disponibles sur les modalités des meurtres sont particulièrement
choquantes :
– 31,9 % tuées par arme blanche
– 23,4 % battues à mort, dans 90 % des cas par des coups portés à la tête
– 8,5 % égorgées
– 8,5 % étranglées
– 4,3 % tuées par arme à feu
– 2,1 % écrasées volontairement par un véhicule
L’utilisation d’armes (couteaux, marteaux, hachoirs, fusils) est signalée dans les deux tiers
des cas. Certains féminicides montrent une violence d’acharnement qui dépasse le simple «
passage à l’acte » : ils traduisent une volonté d’effacer, d’anéantir la victime.
‘’La dissimulation : une stratégie fréquente des agresseurs’’
Autre élément glaçant du rapport : un nombre significatif de meurtriers ont tenté de
maquiller leur crime pour échapper à la justice ou à l’opprobre publique :
– Mises en scène de suicides
– Incendies volontaires
– Disparition ou déplacement des corps
Ces procédés de dissimulation retardent les enquêtes, compromettent la qualification
juridique des faits et aggravent la souffrance des familles. Le manque de moyens alloués à la
police judiciaire et la lenteur des procédures ajoutent à l’impunité.
Des lois présentes… mais inappliquées
Bien que l’Algérie ait introduit en 2015 des articles spécifiques dans le Code pénal pour
réprimer les violences conjugales, le collectif déplore une application parcellaire, voire
inexistante. « La législation n’a de sens que si elle est appliquée avec rigueur et volonté
politique. Or, dans les commissariats comme dans les tribunaux, les victimes ne sont pas
crues, ou mal accueillies. Et dans bien des cas, elles sont renvoyées chez elles… vers leur
bourreau », dénonce Kenza Khattou.
Peu de refuges sont disponibles pour les femmes menacées, les plaintes sont rarement
suivies d’effet, et les jugements tardent. L’absence de campagnes de sensibilisation
nationales et la faible formation des agents de l'État aggravent la situation.
‘’Une société patriarcale et complice ?’’
Au-delà de l’inaction institutionnelle, le rapport s’attaque aux racines du mal : une culture
patriarcale profondément ancrée, qui normalise les violences, culpabilise les victimes et
protège les agresseurs. Le silence social, le contrôle exercé sur les femmes, et l’absence de
solidarité aggravent leur isolement. « Tant que les féminicides ne seront pas considérés
comme une urgence nationale, tant que l’on continuera à parler de ‘drames familiaux’, rien
ne changera », prévient le collectif.
‘’Un cri pour briser le silence et sauver des vies’’
Le collectif ‘’Féminicides Algérie’’ appelle à une mobilisation massive : des institutions, des
médias, de la société civile. Il réclame des données officielles, des mécanismes de protection
renforcés, une justice efficace et des politiques de prévention ambitieuses. « Nous en avons
assez de compter les mortes. Ce que nous voulons désormais, c’est protéger les vivantes. Il
est temps que l’État prenne ses responsabilités », martèle Kenza Khattou.
‘’Reconnaître, nommer, agir’’
Ce rapport, au-delà des chiffres, raconte l’histoire d’une guerre sourde menée contre les
femmes. Il dénonce une tragédie qui ne dit pas son nom, une société qui regarde ailleurs, et
des institutions qui tardent à réagir. Briser ce silence est une nécessité vitale. La lutte contre
les féminicides ne doit plus être portée par quelques voix isolées, mais devenir une priorité
nationale. Parce qu’aucune femme ne devrait craindre pour sa vie chez elle. Parce que
l’égalité ne se décrète pas : elle se construit, par la loi, par l’éducation, et par le refus
collectif de l’inacceptable.
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