
Dr Slim BENLEFKI Checheur en neurosciences
Le syndrome neurologique post-paludisme (SNPP) désigne une complication neurologique rare pouvant survenir dans les deux mois suivant un accès palustre à Plasmodium falciparum, bien traité et guéri. Il est défini comme une encéphalopathie post-infectieuse, dont l’existence est encore discutée dans la communauté scientifique. Sa présentation clinique est variable, et sa physiopathologie demeure incertaine.
Premiers cas rapportés en France chez des patients d’origine africaine
Deux cas récents de SNPP ont été observés chez de jeunes adultes français, nés en métropole, mais originaires d’Afrique de l’Ouest. Ces patients, sans antécédents médicaux particuliers, ont présenté des complications neurologiques graves après un épisode de paludisme sévère contracté lors d’un séjour en Afrique sans chimioprophylaxie.
- Cas clinique n°1 : convulsions et encéphalopathie après un paludisme grave
Un homme de 19 ans, originaire de Côte d’Ivoire et résidant en France, est hospitalisé après un voyage en Afrique. Il présente fièvre, céphalées et toux. Un paludisme à P. falciparum est diagnostiqué avec une parasitémie de 2,5 %. L’évolution est sévère : insuffisance rénale aiguë, troubles de la vigilance, détresse respiratoire. Il est transféré en réanimation, intubé et traité par quinine intraveineuse. Il guérit rapidement et sort à J17.
À J63, il développe une crise convulsive généralisée, une fièvre à 39 °C et des troubles de l’humeur. Une ponction lombaire révèle une méningoencéphalite lymphocytaire, sans preuve d’infection active. Les examens biologiques, les cultures et l’IRM cérébrale sont normaux. L’EEG montre une encéphalopathie diffuse. En l’absence de cause infectieuse, un traitement empirique par aciclovir est initié. Le patient retrouve un état neurologique normal à J87, sans séquelle.
- Cas clinique n°2 : confusion et encéphalite après guérison
Un second patient, âgé de 17 ans, d’origine gambienne, revient également d’Afrique sans avoir pris de prophylaxie. Dix jours après son retour, il présente fièvre et troubles du comportement. Un neuropaludisme est diagnostiqué avec une parasitémie à 9 %. Il répond rapidement à la quinine et sort à J11.
Mais à J18, il est réhospitalisé pour confusion fébrile. Les examens biologiques sont rassurants. Une PL révèle une protéinorachie élevée (0,96 g/l) avec une cellularité modérée. Bien que le frottis soit négatif, il est de nouveau placé sous quinine, transféré en réanimation à J19 après une nouvelle crise convulsive. L’IRM est normale, l’EEG suggère une encéphalite, la PL montre cette fois une pléiocytose lymphocytaire. Il est traité par aciclovir pendant trois semaines. À J30, il récupère sans troubles persistants.
Des formes cliniques diverses et encore mal définies
Le SNPP peut se manifester par des crises d’épilepsie, une confusion aiguë, ou d’autres signes neurologiques ou psychiatriques, apparaissant dans les deux mois après la guérison d’un accès à P. falciparum. La première description remonte à 1984 au Sri Lanka sous la forme d’une ataxie cérébelleuse retardée. D’autres présentations sont depuis décrites : encéphalite, encéphalomyélite, encéphalopathie diffuse.
L’unique étude prospective, menée au Vietnam, identifie 22 cas de SNPP sur plus de 18 000 patients traités, soit une incidence de 0,7 à 1,8 pour 1 000. Dans cette cohorte, 68 % des patients présentent un syndrome confusionnel aigu, 27 % des convulsions généralisées. Le LCR montre une pléiocytose lymphocytaire dans 36 % des cas et une hyperprotéinorachie dans 59 %. La durée moyenne des symptômes est de 60 heures.
Une classification en trois sous-types
En 1998, Schnorf et al. proposent de classer le SNPP en trois formes :
– Encéphalopathie cérébelleuse localisée : à l’origine de l’ataxie retardée.
– Encéphalopathie diffuse modérée : avec confusion et parfois épilepsie.
– Encéphalopathie sévère : proche de l’encéphalomyélite aiguë disséminée (Adem), sensible aux corticoïdes.
Ces deux patients relèvent du second sous-type. Ils ont présenté des convulsions et un tableau de méningoencéphalite lymphocytaire, sans cause identifiée, et une guérison spontanée, sans recours à la corticothérapie.
Une physiopathologie encore hypothétique
Aucune lésion cérébrale n’est retrouvée à l’IRM. L’évolution rapide et favorable suggère l’absence de destruction neuronale. L’hypothèse la plus plausible reste celle d’une réaction immunitaire retardée, notamment à médiation cytokinique.
Une étude montre en effet des taux élevés de cytokines chez des patients atteints d’ataxie cérébelleuse post-paludique, qui diminuent après corticothérapie, suggérant un rôle de l’inflammation auto-immune. Toutefois, aucune preuve directe d’auto-anticorps n’a encore été apportée.
Le SNPP est une entité rare mais potentiellement grave, pouvant survenir après une guérison complète d’un paludisme sévère. Sa présentation est neurologique, parfois spectaculaire, mais la récupération est souvent complète et rapide. Ces cas illustrent la nécessité d’une surveillance prolongée après un accès palustre, en particulier chez les jeunes adultes d’origine africaine vivant hors zone endémique. Un mécanisme immunitaire post-infectieux est fortement suspecté, mais des recherches complémentaires sont indispensables pour mieux comprendre et définir cette complication.
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