
Un élan de solidarité internationale brisé aux portes de l’enclave palestinienne
Au moment où Gaza s’enfonce dans ce que l’ONU qualifie de « crise humanitaire sans précédent », les tentatives de solidarité internationale se heurtent à un verrouillage implacable, orchestré par une multitude d’acteurs régionaux et internationaux. Les récentes initiatives citoyennes pour briser l’isolement du territoire palestinien révèlent l’étendue d’un système global d’asphyxie, où la tragédie humanitaire s’imbrique dans des logiques de puissance, d’intérêts sécuritaires et de rivalités stratégiques.
La Global March to Gaza, organisée la semaine dernière, n’aura même pas atteint les abords du Sinaï. Les forces de sécurité égyptiennes et les baltaguias ont neutralisé le cortège dès sa sortie du Caire. Des centaines de militants venus d’Europe, du Maghreb et du Moyen-Orient, dont des parlementaires et des personnalités de renom comme le petit-fils de Nelson Mandela, ont été arrêtés, leurs passeports confisqués, leurs téléphones saisis, avant d’être dispersés par la force.
Officiellement, Le Caire invoque des impératifs sécuritaires : risques d’infiltration djihadiste dans le Sinaï, instabilité chronique de la péninsule, nécessité de maintenir l’ordre intérieur. Officieusement, cette répression illustre surtout le positionnement stratégique de l’Égypte, acteur-clé du blocus de Gaza depuis plus de quinze ans. Sous perfusion financière des monarchies du Golfe et des États-Unis, et partenaire sécuritaire ”discret” d’Israël, Le Caire apparaît comme un maillon essentiel du dispositif régional d’endiguement du Hamas, mais aussi de gestion indirecte du conflit israélo-palestinien.
Un verrouillage à plusieurs niveaux : sécurité, diplomatie et rapports de force internes
La neutralisation de cette marche citoyenne n’est pas un simple épisode de maintien de l’ordre. Elle s’inscrit dans une logique de verrouillage multiforme de l’espace palestinien qui dépasse largement les seuls acteurs immédiats. L’Égypte, par son contrôle du terminal de Rafah, joue un rôle ambigu, oscillant entre médiateur et geôlier de la population de Gaza. En contrepartie, Le Caire bénéficie d’un soutien diplomatique américain, d’une aide militaire annuelle, et d’une indulgence croissante de la communauté internationale malgré la répression interne de son propre régime.
À l’ouest, un autre verrou s’est refermé en Libye, où le maréchal Khalifa Haftar, soutenu par les Émirats arabes unis, la Russie et indirectement par l’Égypte, a immobilisé un important convoi humanitaire à l’entrée de Syrte. Le blocage du convoi Somoud, composé de plus d’un millier de volontaires nord-africains, illustre comment même les voies terrestres alternatives au traditionnel corridor égyptien sont désormais sous contrôle de puissances sous-traitantes d’une stratégie régionale de neutralisation de tout soutien logistique aux Palestiniens.
La mer aussi sous haute surveillance militaire
Même en mer, aucun passage n’échappe au quadrillage militarisé. Lundi dernier, la marine israélienne a intercepté dans les eaux internationales, à 185 km de Gaza, le voilier Madleen transportant des humanitaires et journalistes. Parmi eux, six Français dont le journaliste franco-algérien Yanis Mhamdi, correspondant du média indépendant Blast, désormais incarcéré dans une prison israélienne aux côtés de plusieurs membres d’équipage.
Au-delà de la violation manifeste du droit maritime, cet épisode traduit une politique israélienne de criminalisation systématique de toute tentative de briser le blocus. Israël considère ces missions comme des actes hostiles ou de soutien indirect au Hamas, criminalisant journalistes, ONG et militants pacifistes sous prétexte de sécurité nationale.
Gaza, laboratoire d’un nouvel ordre sécuritaire global
Ce verrouillage absolu de Gaza fonctionne désormais comme un laboratoire d’expérimentation des nouvelles doctrines sécuritaires globales : criminalisation de la solidarité, neutralisation extraterritoriale, surveillance extrême des flux logistiques, instrumentalisation des droits humanitaires à des fins stratégiques.
Israël, soutenu par une partie de l’Occident, justifie cette stratégie par la lutte contre le terrorisme et la nécessité de « neutraliser les menaces existentielles ». Mais dans les faits, la population civile de Gaza paie le prix de ce paradigme. Selon les données actualisées du ministère de la Santé de Gaza, jugées crédibles par les agences onusiennes, plus de 55 300 Palestiniens — majoritairement des civils — ont été tués depuis octobre 2023. Des quartiers entiers sont rasés. La famine, les épidémies et la pénurie d’eau potable s’ajoutent au chaos sanitaire, aggravé par la destruction systématique des infrastructures hospitalières.
Les puissances occidentales dans l’impasse morale
Face à cette mécanique d’asphyxie, l’inaction des grandes puissances occidentales renforce le cynisme du système international. Les démocraties européennes, divisées, oscillent entre condamnations symboliques et inertie stratégique, tandis que Washington, la France , l’Allemagne… continuent d’armer Israël.
La France, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, malgré quelques voix dissonantes de la société civile, peinent à dépasser la logique de soutien inconditionnel à Israël, héritée des équilibres diplomatiques de la guerre froide et des relations stratégiques contemporaines avec les États-Unis. L’Union européenne, malgré les appels de la Ligue des droits de l’homme, de la CGT, de la FIDH et de nombreuses ONG, n’a toujours pas pris de mesures coercitives concrètes contre Israël
Une mobilisation citoyenne mondiale fragilisée mais persistante
Face à ce verrou diplomatique, les mobilisations citoyennes tentent de maintenir la pression. Ce dimanche 15 juin, une colonne de marcheurs partira de Paris pour rallier Bruxelles, exigeant des sanctions européennes contre Israël et dénonçant le « massacre à Gaza ». Personnalités culturelles, syndicalistes et militants associatifs y prendront part, dans l’espoir de forcer les institutions européennes à rompre leur silence.
Mais sur le terrain, la réalité est brutale : de la Méditerranée au Sinaï, de la Tripolitaine à Rafah, chaque mètre carré d’espace humanitaire est devenu un terrain de lutte stratégique. À Gaza, ce n’est pas seulement un territoire qui est asphyxié : c’est le droit humanitaire international lui-même qui vacille.
Gaza, miroir d’une fracture géopolitique planétaire
Au-delà de la tragédie immédiate, Gaza est devenu un révélateur d’une fracture plus large dans l’ordre international. D’un côté, un axe sécuritaire occidental-israélien soutenu par ses partenaires régionaux ; de l’autre, des mobilisations citoyennes transnationales qui peinent à briser la chape de plomb diplomatique.
La tragédie de Gaza ne se joue plus seulement dans ses ruines : elle interroge les fondements mêmes du droit international, la légitimité des normes humanitaires universelles et la capacité des sociétés civiles à imposer un sursaut moral face à la logique brutale des États.
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