
Une dissolution au cœur de l’agenda Rettailleau
Le 12 juin 2025, la dissolution du collectif antifasciste La Jeune Garde a été prononcée en Conseil des ministres à l’initiative du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Une décision qui s’inscrit dans une séquence politique particulièrement tendue en France, où les logiques sécuritaires se conjuguent de plus en plus avec une stratégie de rapprochement implicite entre le pouvoir exécutif et les thèses de l’extrême droite.
L’annonce, faite sobrement par Retailleau via un message publié sur les réseaux sociaux, a immédiatement suscité un tollé dans les rangs de la gauche et parmi les défenseurs des libertés publiques. « Vous avez choisi d’être du mauvais côté de l’Histoire », a ainsi dénoncé le député insoumis Antoine Léaument, fustigeant la criminalisation des mouvements antifascistes à un moment où les violences de l’extrême droite explosent dans l’espace public.
Une stratégie de double dissolution : l’antifascisme assimilé à l’extrême droite violente
Dans le même communiqué, le ministre de l’Intérieur a également annoncé la dissolution de Lyon Populaire, groupuscule néonazi responsable de multiples agressions violentes, parfois à l’arme blanche. Officiellement, Retailleau présente cette double dissolution comme une opération « équilibrée », mettant sur un pied d’égalité groupuscules néonazis et mouvements antifascistes radicaux.
Mais pour Raphaël Arnault, député de La France Insoumise et fondateur de La Jeune Garde, cette équivalence est non seulement politiquement aberrante, mais constitue une stratégie délibérée de brouillage idéologique : « Des membres de Lyon Populaire sont impliqués dans des attaques ultraviolentes, à coups de couteau. Nous mettre sur le même plan qu’eux est une folie politique », s’est-il indigné dans un entretien accordé à Médiapart.
Une décision dictée sous la pression du Rassemblement National
Les accusations portées contre Retailleau vont bien au-delà du simple désaccord politique. Selon plusieurs responsables de gauche, la dissolution de La Jeune Garde est l’aboutissement d’une offensive politique orchestrée par les réseaux de l’extrême droite française.
Raphaël Arnault affirme que la procédure a été enclenchée après des sollicitations répétées de groupuscules néonazis, reprises par des élus du Rassemblement National (RN). « C’est sous la pression directe du RN que cette dissolution a été prononcée », accuse-t-il.
Une lecture corroborée par les multiples agressions perpétrées récemment par l’extrême droite : attaques contre des militants communistes au bar associatif Le Prolé à Alès, assassinat d’Hichem Miraoui dans le Var, et démonstrations de force de groupuscules néonazis dans les rues de Paris, notamment lors du rassemblement annuel du Comité du 9 mai, qui a vu défiler près d’un millier de militants d’extrême droite.
Fascisation politique et criminalisation de l’antifascisme
Pour de nombreux observateurs, cette dissolution s’inscrit dans un processus de fascisation rampante de la vie politique française. Sous couvert de rétablir l’ordre républicain, l’exécutif s’en prend désormais à des organisations dont l’objet est précisément de lutter contre la progression de l’extrême droite violente.
« Retailleau prétend ne rien laisser passer, sauf le fascisme », ironise Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes. La dissolution de La Jeune Garde intervient alors que plusieurs crimes à motivation raciste et des attentats d’extrême droite secouent régulièrement le pays, sans provoquer de mesures équivalentes à l’encontre de leurs auteurs.
Selon Cem Yoldas, porte-parole de La Jeune Garde, la situation est d’autant plus inquiétante que le gouvernement célèbre parallèlement la mémoire des résistants antifascistes — comme l’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian — tout en démantelant les structures qui prolongent aujourd’hui cet héritage militant. « Le terrorisme d’extrême droite progresse et le gouvernement ne semble pas s’en inquiéter », déplore-t-il dans L’Humanité.
La stratégie Retailleau : neutraliser la gauche, draguer l’électorat d’extrême droite
L’offensive contre La Jeune Garde s’inscrit dans une manœuvre politique plus large menée par Retailleau depuis son arrivée au ministère de l’Intérieur. Issu des rangs de la droite dure, puis propulsé à la tête du parti Les Républicains (LR), Retailleau a bâti sa stratégie sur la radicalisation sécuritaire et une convergence croissante avec les thématiques chères au RN.
Depuis la mobilisation antifasciste du 1er mai, Retailleau a multiplié les procédures de dissolution contre des collectifs de gauche et des associations de solidarité internationale, comme Urgence Palestine, qualifiée de « dangereuse » en raison de son opposition à la politique israélienne à Gaza.
L’objectif est double : affaiblir les forces militantes de la gauche radicale tout en sécurisant un socle électoral dans l’espace politique qu’occupait autrefois uniquement l’extrême droite. Une stratégie qui vise à court-circuiter le RN tout en validant certains de ses mots d’ordre sécuritaires.
Une dynamique antifasciste qui résiste et se réorganise
Malgré la dissolution, La Jeune Garde annonce vouloir poursuivre la bataille juridique devant le Conseil d’État. « Nous nous battrons devant les tribunaux. Nous sommes une organisation sérieuse, et non violente », affirme Arnault. Loin de s’éteindre, la mobilisation antifasciste semble au contraire se renforcer. Des comités de soutien émergent partout en France — à Marseille, Toulouse, Limoges — mais aussi à l’étranger, en Belgique notamment.
« En voulant détruire l’antifascisme, Retailleau a contribué à l’émergence d’un réseau encore plus large », se félicite Cem Yoldas. L’affrontement entre un pouvoir sécuritaire de plus en plus aligné sur les thèses de l’extrême droite et une gauche antifasciste déterminée semble désormais ouvert.
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